TANGENTE VERS L’EST
Une rencontre improbable
Après « Naissance d’un pont », prix Médicis 2010, Maylis De Kerangal nous propose une histoire fragile et fulgurante dans une langue sensuelle et fougueuse, laissant à nu des êtres pris dans la rhapsodie d’un voyage qui s’invente à contre-courant.
Roman de Maylis De Kerangal
Editions Verticales
::L’histoire ::
Dès l’ouverture de ce bref roman, on prend le train en marche, en l’occurrence le Transsibérien, déjà loin de Moscou, à mi-chemin de l’Asie. Le long du corridor, se presse une foule de passagers de 3e classe bardés de bagages, d’où se détache une horde de jeunes hommes en tenue camouflage agglutinés dans la fumée de cigarettes, que le sergent Letchov conduit à leur caserne d’affectation en Sibérie. Parmi eux, Aliocha, grand et massif, âgé de vingt ans mais encore puceau, et comme désarmé face aux premiers bizutages qui font partie du rituel de ces transports de conscrits. Il préfère s’isoler, lui qui n’a pas su trouver le moyen d’éviter le service militaire, qui n’attend rien de bon de cette vie soldatesque et sent la menace de cette destination hors limite. A l’écart, il commence à échafauder les moyens de fausser compagnie à son régiment. Mais comment se faire la belle à coup sûr ? Profiter d’un arrêt à la prochaine gare pour se fondre dans la foule et disparaître. A priori, il a tout à craindre de son sergent, mais aussi des deux provodnitsa, ces hôtesses de wagons, en charge de la maintenance des lieux et de la surveillance du moindre déplacement des voyageurs. Une première tentative échoue. Aussitôt repéré, il remonte dans le train. Sa fébrilité suspecte a dû le trahir. Occasion manquée donc, mais sur le quai, Aliocha a croisé une jeune Occidentale qui va bientôt s’émouvoir de son sort : Hélène, une Française de 35 ans, montée en gare de Krasnoïarsk. Elle vient de quitter son amant Anton, un Russe rencontré à Paris et récemment revenu au pays gérer un énorme barrage, un homme qu’elle a suivi par amour près du fleuve du même nom. Malgré les barrières du langage, Aliocha et Hélène vont se comprendre à mi-mots. Toute une nuit, au gré d’un roulis engourdissant, ils vont partager en secret le même compartiment, supporter les malentendus de cette promiscuité forcée et déjouer la traque au déserteur qui fait rage d’un bout à l’autre du train. Les voilà condamnés à suivre un chemin parallèle, chacun selon sa logique propre et incommunicable, à fuir vers l’Est et son terminus océanique, Vladivostok.
sources : ©Verticales 2012