Charles BERLING sur les traces de Gustave EIFFEL

UN ENTREPRENEUR HUMANISTE au coeur du XIXème siècle industriel.

pho-1981-77-3-2-portraitge-cmjn300.jpgDans son documentaire consacré à Gustave EIFFEL, Charles BERLING met en lumière une personnalité à la Jules VERNE. Il y retrace avec sensibilité la vie d’un grand ingénieur, père de la Tour dont on célèbre cette année le 120ème anniversaire. Il nous y dévoile un esprit curieux et inventif, qui a même imaginé un “pont sous la Manche” et un projet de métropolitain dix ans avant sa réalisation effective… On découvre qu’après son retrait des affaires en 1893, il a dédié les trente dernières années de sa vie à des activités de recherches scientifi ques, inventant un nouveau type de soufflerie et devenant l’un des plus grands dans le domaine de l’aérodynamique.  

> La génèse du documentaire

Le film est né de la rencontre entre Virginie COUPÉRIE-EIFFEL et Charles BERLING. Ce dernier explique : “À travers ce qui se disait dans la famille de Virginie, j’entendais parler d’un Gustave EIFFEL que je connaissais très peu. Découvrant une vie extrêmement passionnante, j’ai pensé que ce prisme familial était beaucoup plus intéressant que le regard un peu trop sacralisé que l’on peut en avoir aujourd’hui et qui tue tout ce qu’il y a de vivant et d’exemplaire dans ce grand destin”.
Ayant déjà interprété des personnages historiques comme Jean MOULIN ou comme dernièrement BADINTER, Charles BERLING continue : “dans mon métier d’acteur, lorsque j’incarne un personnage célèbre, je cherche toujours à comprendre l’homme qu’il était avant d’être un «Grand Homme»… Car qu’est-ce qu’un «Grand Homme» si ce n’est d’abord un homme qui a eu à un moment donné du courage et certaines audaces. Ayant envie de passer à la réalisation depuis un moment, c’était pour moi l’occasion idéale de le faire”.

> Une enfance décisive

Alexandre Gustave BONICKHAUSEN, dit EIFFEL, est né en 1832 à Dijon. Homme de la seconde moitié du XIXe siècle, il est le reflet des contradictions de son époque et de son milieu bourgeois socialement conservateur. Charles BERLING détaille : «C’est cette dimension politique qui m’a intéressé. La France de l’époque était divisée en deux. Il y avait d’un côté les bonapartistes et de l’autre les républicains. Le jeune Gustave a grandi entouré d’un père ancien officier bonapartiste, et d’une mère, femme d’affaires autoritaire et entreprenante, qui dirigeait à Dijon un négoce de charbon et s’est constitué une solide fortune personnelle.”
Mais l’influence décisive sera celle de son oncle Jean-Baptiste MOLLERAT, industriel reconnu dans les peintures chimiques et surtout républicain convaincu. Charles BERLING reprend : “Très vite et contre l’avis de son père, le jeune EIFFEL va se situer dans une perspective progressiste, du côté de son oncle MOLLERAT et des républicains qui ont compris que le prolétariat ne pouvait pas être une masse simplement exploitable mais qu’il devait être associé au progrès. Étudiant à Paris, il entre à l’École Centrale et choisit de se spécialiser en chimie, dans l’espoir de succéder à son oncle, mais une brouille familiale compromet ce projet. Sa mère lui conseille alors de se tourner vers la métallurgie, rendant possible la carrière que l’on sait. ”

> Un entrepreneur novateur et intuitif

Entrepreneur novateur, EIFFEL a toujours testé des solutions techniques originales et engagé des projets d’une ambition inédite. Ainsi sa carrière d’ingénieur est lancée en 1858, lorsque lui est confiée par son employeur la réalisation du pont de Bordeaux. Long de 500 mètres, cet ouvrage est alors l’un des plus importants construits en France. Ses fondations sont réalisées grâce à l’emploi d’une technique novatrice qui permet de travailler en dessous du niveau de l’eau. La notoriété acquise sur ce chantier lui permet d’obtenir d’autres commandes, et de créer son entreprise en 1866.
budapestgare001.JPGLes réalisations des établissements EIFFEL seront diverses et variées : des viaducs (Garabit en 1884 ou sur le Douro, au Portugal en 1877), des ponts, des charpentes ou structures métalliques (comme la coupole de l’observatoire de Nice en 1884 ou la structure interne de la Statue de la Liberté en 1886), voire des bâtiments entiers, comme la gare de Pest, en Hongrie, en 1875 et bien sûr la Tour Eiffel en 1889.
“Parallèlement, Gustave EIFFEL mène une réflexion permanente sur le progrès utile. Sa problématique est simple : comment envoyer dans les pays pauvres des constructions qui soient montables par des équipes non qualifiées ? Grâce à son instinct prodigieux, il développe alors une activité internationale très lucrative : la conception de «ponts portatifs» démontables. D’un assemblage très simple, ils seront livrés en pièces détachées dans le monde entier jusque dans les années 1940”.rocher_vierge.jpg

> Un entrepreneur humaniste qui sait s’entourer

“J’ai trouvé extrêmement intéressant en réalisant ce documentaire” précise Charles BERLING “de voir comment un jeune patron comme Gustave EIFFEL, comprend très tôt que l’on doit, si l’on veut avoir des résultats et une entreprise qui marche, faire que ses employés soient heureux! Qu’ils soient à même de bien travailler.”
Et Gustave EIFFEL a toujours cherché à trouver cet équilibre comme l’explique Virginie COUPÉRIE-EIFFEL : “Dès le début, lorsqu’il arrive de Dijon et qu’il se retrouve à Bordeaux dans un monde qu’il ne connaît absolument pas, il ne baisse pas les bras. Il a deux qualités importantes : non seulement il sait très bien s’entourer mais surtout il sait donner de la valeur aux gens avec lesquels il travaille à une époque où travailler et gagner de l’argent avec ses mains était considéré comme vil !”. Et Charles BERLING d’ajouter : “Le travail de l’homme est quelque chose de très important dans toute l’oeuvre de Gustave EIFFEL. C’est d’autant plus important que nous avons bien besoin de ces leçons de vie dans la crise finançière actuelle et ses abus scandaleux. C’est vraiment un très beau message d’entrepreneur que de prouver que l’on peut avoir une carrière, une ambition personnelle forte et en même temps servir le bien général. C’est pour moi une des plus grandes leçons que cet homme nous a donnée. C’est pour cela que j’ai voulu terminer le film par cette phrase de Gustave EIFFEL – «Quelle que soit la branche que vous avez choisie, dans votre vie future, appliquez-vous à développer un progrès aussi minime soit-il. Vous en ferez un bien général»
– Pour moi, Gustave EIFFEL est vraiment un homme d’actualité.”

> Les 3 derniers projets non réalisés

Entre 1890 et 1892, EIFFEL conçoit 3 projets ambitieux qui ne seront jamais réalisés.

Le 1er concerne la mise en oeuvre d’un chemin de fer métropolitain. Il s’agit de pourvoir Paris d’un mode de locomotion ferré public, à l’instar de Londres, Berlin ou New York. Le tracé de 12 km forme une boucle entre la Madeleine et la gare de Lyon. Il est pour partie souterrain, éclairé à l’électricité, et pour partie aérien, sur des viaducs métalliques conçus de façon à limiter les nuisances sonores.
Le 2ème projet concerne les plans d’un «pont sous la Manche» : ni pont aérien, ni tunnel foré, mais un conduit posé sur le fond marin. Il a l’avantage de ne pas gêner la navigation maritime, pour un coût maîtrisé. Pourtant, ce projet ne réussira pas plus que les recherches concurrentes à voir le jour.
Le 3ème projet est celui d’un observatoire sur le Mont Blanc. L’astronome Jules JANSSEN fait le constat que la raréfaction de l’atmosphère terrestre en altitude permet une meilleure étude des astres. Gustave EIFFEL, sollicité, accepte le défi. Mais suite au décès d’un médecin qui accompagnait l’expédition, EIFFEL choisit de se retirer.

> Un tournant : le scandale de Panama…

Fort du succès de la Tour, EIFFEL s’engage aussitôt dans la construction des écluses du canal de Panamá. Mais en 1893, un énorme scandale financier éclate et entraîne la faillite du projet. EIFFEL est condamné en 1ère instance. Mais ce jugement est cassé par la Cour de cassation. EIFFEL, qui est plus ingénieur que financier, est durement atteint par la polémique qui en résulte d’autant que la France anti-allemande lui reproche son ascendance germanique.
À 61 ans, il met un terme à sa carrière de constructeur. Néanmoins il continue de s’acharner à démontrer l’utilité de “sa Tour”. En 1898, il fait installer un laboratoire météo à son sommet puis, en 1901, un émetteur permanent de TSF. Mais c’est l’intérêt stratégique de la Tour pour les militaires qui sauve définitivement le monument du démantèlement qui le menaçait.
Dans le même temps il choisit de se consacrer à la recherche, dans laquelle il ne va pas tarder à exceller.

> La “bataille du vent”

À partir du milieu des années 1890, Gustave EIFFEL commence une nouvelle carrière, aussi longue et prestigieuse que la précédente. Élément déjà déterminant de son activité de constructeur, le vent constitue le fil conducteur de ses recherches scientifiques.

Séduit, Charles BERLING ajoute : “Ce qui est passionnant chez Gustave EIFFEL, c’est ce désir de ne jamais, JAMAIS, laisser pho-1981-135-23.jpgtomber, de ne jamais s’arrêter, d’avoir le secret de se donner des objectifs et d’aller jusqu’au bout. On sent cette force incroyable qui lui permet de repartir vers quelque chose de nouveau, de créer, d’inventer. Et tout cela pour ses concitoyens.”
Tout commence autour de la pérennité de la tour Eiffel où des recherches expérimentales sur l’aérodynamique se déroulent. De l’aérodynamique à l’aéronautique, il n’y a qu’un pas. L’aviation naît à la fin du XIXe siècle, et EIFFEL fait construire sur le Champ de Mars une soufflerie pour tester des modèles réduits d’avion et mesurer les réactions de différentes formes sous l’action du vent. Les résultats obtenus sont inattendus et d’une grande utilité pratique.
9-coupe-soufflerie-langonnet.JPGEn 1912, EIFFEL construit à Auteuil, rue Boileau, un laboratoire plus performant qui devient rapidement l’un des plus grands dans le domaine de l’aérodynamique, internationalement reconnu et qui fonctionne toujours aujourd’hui. Une soufflerie peut y provoquer un vent de 100 km/h et EIFFEL y teste toutes sortes d’engins, travaillant avec BREGUET ou FARMAN.pho-1981-135-27.jpg
À partir de 1914, il contribue à l’effort de Guerre en étudiant le profilage des obus et imagine même un appareil qu’il qualifie d’“avion de chasse à grande vitesse” : c’est l’avion L.E. (pour Laboratoire Eiffel). Son dessin est original, avec des ailes naissant au bas du fuselage, un profil affiné et une forme en obus. Un prototype de l’appareil est construit et les grands constructeurs adoptent immédiatement le positionnement de ses ailes.
Le 1er janvier 1921, l’infatigable ingénieur, âgé de 89 ans, cède l’usage du Laboratoire aérodynamique d’Auteuil à l’État.

Sa curiosité pour des disciplines diverses et son souci des problématiques de son temps, ont guidé un travail rigoureux et novateur dont la valeur est unanimement reconnue.

Portrait réalisé par Hervé GIRAUD  pour COOLTURE – Crédits photos Charles BERLING © Richard AUJARD.

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